ATELIERS D'ECRITURE

ECRIRE, LIRE... DE LA POÉSIE, DE LA LITTERATURE, FABRIQUER ET RELIER DES LIVRES, PARTICIPER AUX ATELIERS D'ECRITURE, VOYAGER ET ECRIRE

Nouveaux "morceaux choisis"
Voici quelques textes donnés à lire par leur auteur parmi leur production d'atelier.
Certains nous les livrent tels quels, d'autres -selon leur habitude- les ont retravaillés après la séance!


Bonne lecture...


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ENDORMISSEMENT
L’endormissement est le moment le plus périlleux de toute la journée. Il me faut saisir l’instant fugace où les yeux se ferment, le livre s’échappe des mains entrouvertes et plonger tout droit dans le sommeil. Je peux répéter cette gymnastique à plusieurs reprises, fermer, ouvrir la lumière, plonger encore. Tout manquement à ce rituel aussi futile soit-il est catastrophique. Les tisanes du soir, les petites douceurs à laisser fondre sous la langue ne sont que cautère sur jambe de bois.

Surtout ne pas penser. Ne pas me laisser frôler par le moindre début de commencement de conscience. Sinon, c’est le basculement inévitable dans le monde des démons que j’arrive vaille que vaille à mater tout au long de la journée. Pas le moindre chant de rossignol, c’est l'abîme assuré.

« Entends-tu le chant du rossignol ? » lui ai-je dit dans la nuit étoilée des vignobles de Cadillac

Françoise ©

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DÉFINITIONS
La vie c’est comme un fer à repasser tour à tour brûlante, tiède, bouillonnante, elle fait des faux plis irréparables et puis elle tombe en panne définitivement d’un coup sec.
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L’amour est comme un port de pêche avec le temps il s’étiole puis meurt abandonné tout couvert de rouille.
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L’homme est comme une autoroute quand on l’essaie au début on le trouve super, puis peu à peu on se lasse et enfin on s’endort.
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L’ennui est comme une libellule, il ne fait que passer et s’envole avant qu’on aie eu le temps de compter toutes ses ailes.
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La femme est comme une chouette, l’effraie, non plutôt la hulotte ou l’harfang, non encore un petit effort, la femme est une chouette Athéna, la femme c’est la sagesse même !
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L’écriture est comme une venelle. Au début, on ne sait pas où l’on va, on hésite à avancer, on a des effarouchements de demoiselle, puis on ose un mot, un autre, on se laisse embarquer. Parfois, on se heurte à une impasse, l’atterrissage est douloureux, mais si l’on persévère et surtout si l’on est chanceux on peut s’envoler très haut dans le ciel et alors on oublie tout.
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L’enfant est comme une balançoire, son chemin est imprévisible, en haut, en bas, toujours plus haut, plus vite, plus beau. Quelquefois, il tombe et on démonte la balançoire devenue inutile.

Françoise ©

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VIRGINIA
L’air est lourd de ces parfums d’été qui courbent peu à peu tes épaules. Tu vas lentement et je sais le galbe de tes longues jambes sous le velours de ta jupe qui frôle les graviers.
Tu regardes devant toi. Maintenant, tu es loin de ta maison et tes pas s’accélèrent, ils deviennent plus légers. Tu quittes le sentier et retires tes chaussures. En te suivant, j’essaie de me rapprocher au plus près de tes sensations.
L’herbe est sèche, rugueuse, mais cela n’a pas l’air de te gêner. Une colline boisée barre l’horizon. Tu avances toujours du même pas égal, tu tends la main droite vers une forme invisible, est-ce le marionnettiste qui te conduit là où tu dois aller ?
Tu m’as donné le goût d’apprendre à voir ce qui se cache derrière les apparences et « celui d’effacer les souffrances en rassemblant les morceaux disjoints »(1). Je suis toi. Tu écrases l’herbe drue dont la pointe se relève vite pour blesser la peau de mes pieds nus comme elle a dû aussi blesser la tienne. Tu n’es plus qu’une force qui va et ma douleur n’est rien en comparaison de celle dont tu n’as pu faire le deuil.

Tu évites la forêt, tu la contournes par la gauche, tu préfères l’étendue plate de ce champ ensoleillé. Te souviens-tu? «Ce bel après-midi, les champs vernis, comme de la laque, s’étendaient au soleil. Une charrette, un cheval, une bande de corneilles, tout ce qui se mouvait dans cette étendue semblait baigner dans de l’or»(2).
Tu t’arrêtes et ma rêverie s’accroche à la tienne devant la fraîche ondulation des collines du Sussex, la vie s’écoule harmonieusement dans ce moment de paix que tu aimes tant. Tu reprends ton allure altière, tu te déplaces avec une grâce nonchalante, comme un souffle, flottant presqu’au dessus du sol.
Tu es ‘l’ange égaré’, tel que tu le fus toujours. Tu as jeté tes chaussures. Tu ramasses toutes les pierres que tu trouves, tu en compares la taille et gardes les plus grosses que tu mets dans tes poches. Tu chantes, un merle te répond et puis, c’est toute la forêt qui au loin fait écho.
Mais peut-être, n’as tu pas chanté, peut-être la forêt n’a-t-elle pas répondu en écho à ta voix. Il t’a fallu plus d’un demi-siècle pour résumer ta vie en cet instant, pour que tu viennes, par ce détour, jusqu’ici, au bord de l’Ouse, ta rivière bien aimée, dont l’onde ourle à présent ta jupe. Dans l’étendue liquide de son lit baigné d’or, tu te roules avec délice, comme roulent dans ta tête tes aïeux morts. Prise dans le va-et-vient des vaguelettes, tu es l’enfant bercé par ta mère retrouvée, tu te laisses glisser dans le ventre maternel sous la surface de l’eau qu’agite un frisson de mousse en décrivant des cercles.
Les oiseaux se sont tus dans la cime des arbres dont l’ombre se voûte en toit de cathédrale.
Ainsi, ne voulant plus sortir du lit de la belle Ouse, tu as fermé les yeux devant tant de beauté, tu t’y es endormie à jamais.
« Que votre dernier regard soit pour tout ce qui est beau ! » Disais- tu.
Virginia, t’en - souviens – tu ?

(1) Journal de 1915 à 1941 de Virginia Woolf
(2) Les Vagues de Virginia Woolf

Marie-José Svadchii
© (juin 2010)

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SOMMEIL INNACHEVÉ
Je suis endormi, en plein songe, un songe insoupçonnable, pour qui, de l'extérieur, de l'autre monde, de l'autre histoire, m'observerait ainsi, blotti sous mes couvertures. C'est un rêve très simple, du moins visuellement (si je puis dire) : un livre aux pages vierges recueille un par un des caractères en minuscule caroline qui dans l'ordre s'assemblent en mots pour former des phrases. Pendant ce temps d'assemblage soumis à la loi de la linéarité de l'écriture, mon âme, elle, est dans un tel état d'omniscience, que je peux saisir, déjà, le livre qui en sera l'achèvement dans toute son essence, toutes les significations qu'il comprendra il les lui a déjà confiées. Mais les mots ne s'inscrivent qu'à un rythme lent sur les pages, qui se tournent docilement, en toute indépendance, et accueillent de nouveaux signes, infiniment...

Mon esprit fasciné et inquiet cherche à faire autrement pour coucher les mots, il voudrait tous les faire apparaître d'un coup et boucler le récit avec tous les sens qu'il contient et tous les effets et les transports qu'il produit (et dont cette étrange part de moi est consciente sans le moindre vertige) en un mouvement de paupière. Il faudrait être magicien... mais je suis déjà un magicien puisque le rêve m'a livré ce pouvoir. Ce pouvoir, m'habite t-il ? Ou est ce moi qui suis logé chez lui ?

Un signe indécelable provoque alors une imperceptible éruption solaire dans l'univers insondable du sommeil et vient m'avertir : si je ne parviens pas à clore l'histoire sur le papier, avant le réveil, et avec l'encre dont je dispose, sans tricher, je sais que tout se volatilisera, mon chef d’œuvre sera anéanti, je dois résister à mes penchants pour l'urgence, conserver mon calme, aller au bout. Noircir des pages, noircir des pages, rester naturel, rien d'anormal ne se passe, faisons comme si de rien n'était, je ne ponds pas un ouvrage éternel, je me prépare juste un sandwich au thon, je dois relativiser, rester à distance, loin, loin, loin. Rester laborieux et endormi, ne pas y penser, ne pas y penser... ne pas...
J'ouvre les yeux.

Thomas Taiclet ©
Ce texte a été conçu en atelier d'écriture le 17 novembre 2011, l'écriture était tout à fait libre autour des dix mots de la Semaine de la langue française et de la Francophonie, proposés en 2012 sous l'intitulé "Dis-moi dix mots qui te racontent" : autrement, caractère, chez, confier, âme, naturel, penchant, songe, histoire, transports.

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DOS D’ESCLAVE
Dans l’alcôve d’une belle galère, secouées par le
Désir impensable du rivage, entre les bouées de
sauvetage et les embruns désaltérants.
.....Dans l’immense étendue de ton dos, je transpire
L’effort du fouet mêlé à l’expédient et au stupre ; dans
La pénombre de ton dos, je dois transcrire l’essentiel de
La couleur pourpre ; sur les bords ondulés de ton der-
Rière je m’inquiète des turbulences combinées du maître,
Du commerce et de l’huile de pacotille.
.....Laisse-moi grafigner longtemps tes omoplates somptuaires
...et outremer. Quand j’observe ton dos d’estampe japonaise
et cambré, il me semble que je triture des souvenirs.


Claude Madina ©
à partir d’un extrait « Petits Poèmes en prose » de BAUDELAIRE

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POURTANT CE N'EST PAS BEAUCOUP

Tu n'as que 13 ans
Petit bonhomme
Tu défiles sur la place grouillante.
Ils t'ont attrappé, meurtri, tué.
Et ta mère a récupéré ton corps défiguré.
13 ans, c'est déjà assez vieux pour être torturé
13 ans pourtant ce n'est pas beaucoup.

Tu n'as que 5 ans
Mon petit bout
La mine t'avale, te fait peur, t'use pour quelques pesos.
Tu n'as que 5 ans, c'est assez pour servir de bête de somme.
5 ans, c'est assez vieux pour ne plus rêver
5 ans pourtant ce n'est pas beaucoup.

Tu n'as que 8 ans
Ma petite fille
On te marie, te force et ton époux t'enchaîne chacun de tes jours.
Tu n'as que 8 ans, c'est assez pour savoir qu'être fille est une malédiction.
8 ans, c'est assez vieux pour ne plus rien espérer
8 ans pourtant ce n'est pas beaucoup.

Tu n'as que 17 ans
Ma jolie
Tu sers de monnaie d'échange, ils t'appellent "la chèvre".
Les clients t'usent, te frappent, te nient.
Tu n'as que 17 ans, c'est assez pour ne plus croire en l'amour
17 ans, c'est assez vieux pour subir sans fin
17 ans pourtant ce n'est pas beaucoup.

Tu n'as que 22 ans
Mon gaillard
Tu fuies la guerre, les massacres, les mensonges, le carnage.
Pourtant tu l'aimes ce pays, c'est le tien. Mais il te faut le quitter.
Tu n'as que 22 ans et tu connais l'arrachement.
22 ans, c'est assez vieux pour pleurer en exil
22 ans pourtant ce n'est pas beaucoup.

Tu n'as que 19 ans
Ma belle
Tu l'as vu, ton coeur a frémi, il t'a souri.
Sacrilège, il n'est pas de ton clan.
Tu n'as que 19 ans, c'est assez pour payer une honte imaginaire.
19 ans, c'est assez vieux pour crier sous l'acide
19 ans pourtant ce n'est pas beaucoup.

Tu n'as que 23 ans
Ma douce
Vous vous êtes aimés mais n'en aviez pas le droit.
Il te faut être châtiée: l'amour ne peut gagner. Qelle idée!
Tu n'as que 23 ans, c'est assez pour disparaître.
23 ans, c'est assez vieux pour mourir sous les pierres
23 ans pourtant ce n'est pas beaucoup.

Pendant ce temps, ils sont présidents, chefs de clan, notables à plus de 70 ans.
Ils mènent le monde, décident, sans regarder plus loin que le bout de leur nez.
Malades, séniles, pansus, sans doute, sans vergogne
Plus de 70 ans
Et ce n'est pas assez vieux pour laisser la place.



Elisabeth Roche ©
ATELIER DU 18 JUIN 2011


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ACROSTICHES DE MOTS

Quand je mets à vos pieds un éternel hommage
Voulez-vous qu'un instant je change de visage ?
Vous avez capturé les sentiments d'un cœur
Que pour vous adorer forma le Créateur.
Je vous chéris, amour, et ma plume en délire
Couche sur le papier ce que je n'ose dire.
Avec soin, de mes vers lisez les premiers mots
Vous saurez quel remède apporter à mes maux.

La réponse :
Cette insigne faveur que votre cœur réclame
Nuit à ma renommée et répugne à mon âme.
Ou :
Cette insigne faveur que votre cœur réclame
Nuit peut être à l'honneur mais répond à ma flamme.

Pas signé ©


BRICOLAGE DU JEUDI
Ce hangar qui appartenait à ma grand-mère était accolé à une remise à foin et à paille. Quelques souris s’y cachaient car le chat rôdait souvent dans les parages. Dans ce hangar il y avait un établi avec un étau et de nombreux outils, des planches de bois, des morceaux de ferraille et un tas d’autres objets magiques pour un bricoleur en herbe. Les adultes ont une grande passion pour garder des vieilleries qui pourraient servir un jour, le jour où les poules auront des dents.
Aujourd’hui c’est jeudi, pas d’école et presque tous les jeudis, une mission de la plus haute importance m’attend. Déjà il faut trouver le double mètre pliant jaune afin de prendre les bonnes mesures, indispensables à l’exécution de l’ouvrage final, les bonnes mesures. Je sais où se trouvent les petites planchettes qui me sont nécessaires, c’est moi qui m’occupe de constituer le stock. Tout d’abord, bien fixer la planchette dans l’étau sans trop serrer pour ne pas écraser le bois, ensuite avec l’équerre, réaliser des coupes à 45° aux deux extrémités. Quatre planchettes vont former un cadre qu’il faudra liaisonner avec de petits tasseaux cloués
méticuleusement pour ne pas faire éclater le bois. Grand-mère dit toujours que pour ce genre de travail, point n’est besoin d’un bois de grande qualité. C’est plutôt du bois récupéré. A la campagne, on ne gaspille pas. Pour finir, découpage d’un grillage en fil de fer à petites mailles, dans lequel on peut quand même passer le doigt. La fixation du grillage sur le cadre s’effectue à l’aide de clous recourbés sans tête. Il faut en mettre suffisamment pour bien tendre le grillage sans déformer le cadre, tout un art pour un jeune garçon comme moi.
Ensuite je vais montrer mon ouvrage à grand-mère qui me dit généralement : « C’est bien mon petit, je vais venir t’aider à le poser ». Quand elle arrive, je prends l’arrache-clou pour ôter l’ancien cadre. Elle tire dessus avec moi et très vite on remet le neuf en place. En cinq minutes l’opération est terminée. Il ne reste plus qu’à clouer l’ensemble sur le devant de la cage à lapins. Mais oui! Car il faut que je vous dise que les lapins avec leurs dents rongent le bois ou le grillage et avec le nombre de clapiers, presque tous les jeudis il faut remplacer un cadre. Pour moi ça n’est pas une corvée car je les aime bien les lapins de grand-mère, parfois même je leur parle quand je sais que l’heure du civet approche.

G.Commandeur ©
(06-12-2011)


POURTANT CE N'EST PAS BEAUCOUP

Tu n'as que 13 ans
Petit bonhomme
Tu défiles sur la place grouillante.
Ils t'ont attrappé, meurtri, tué.
Et ta mère a récupéré ton corps défiguré.
13 ans, c'est déjà assez vieux pour être torturé
13 ans pourtant ce n'est pas beaucoup.

Tu n'as que 5 ans
Mon petit bout
La mine t'avale, te fait peur, t'use pour quelques pesos.
Tu n'as que 5 ans, c'est assez pour servir de bête de somme.
5 ans, c'est assez vieux pour ne plus rêver
5 ans pourtant ce n'est pas beaucoup.

Tu n'as que 8 ans
Ma petite fille
On te marie, te force et ton époux t'enchaîne chacun de tes jours.
Tu n'as que 8 ans, c'est assez pour savoir qu'être fille est une malédiction.
8 ans, c'est assez vieux pour ne plus rien espérer
8 ans pourtant ce n'est pas beaucoup.

Tu n'as que 17 ans
Ma jolie
Tu sers de monnaie d'échange, ils t'appellent "la chèvre".
Les clients t'usent, te frappent, te nient.
Tu n'as que 17 ans, c'est assez pour ne plus croire en l'amour
17 ans, c'est assez vieux pour subir sans fin
17 ans pourtant ce n'est pas beaucoup.

Tu n'as que 22 ans
Mon gaillard
Tu fuies la guerre, les massacres, les mensonges, le carnage.
Pourtant tu l'aimes ce pays, c'est le tien. Mais il te faut le quitter.
Tu n'as que 22 ans et tu connais l'arrachement.
22 ans, c'est assez vieux pour pleurer en exil
22 ans pourtant ce n'est pas beaucoup.

Tu n'as que 19 ans
Ma belle
Tu l'as vu, ton coeur a frémi, il t'a souri.
Sacrilège, il n'est pas de ton clan.
Tu n'as que 19 ans, c'est assez pour payer une honte imaginaire.
19 ans, c'est assez vieux pour crier sous l'acide
19 ans pourtant ce n'est pas beaucoup.

Tu n'as que 23 ans
Ma douce
Vous vous êtes aimés mais n'en aviez pas le droit.
Il te faut être châtiée: l'amour ne peut gagner. Qelle idée!
Tu n'as que 23 ans, c'est assez pour disparaître.
23 ans, c'est assez vieux pour mourir sous les pierres
23 ans pourtant ce n'est pas beaucoup.

Pendant ce temps, ils sont présidents, chefs de clan, notables à plus de 70 ans.
Ils mènent le monde, décident, sans regarder plus loin que le bout de leur nez.
Malades, séniles, pansus, sans doute, sans vergogne
Plus de 70 ans
Et ce n'est pas assez vieux pour laisser la place.


Elisabeth Roche
ATELIER DU 18 JUIN 2011

NON
Vous en voulez encore ?
Non, non. C'est trop.
Vraiment ?
Oui,oui, Ce serait de la gourmandise.
Une toute petite part, alors?
Non, non ! J'ai repris du poids. Ca se voit ?
Mais non.
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Dites non au oui plutôt que oui au non.
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T'en veux un autre dans ta gueule d'empaffé ?
Non, non, ça ira.
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Vous savez qu'il est revenu ?
Non ?
Si ! Et avec une grosse valise en plus !
Non !
Et pas vide, sa valise !
Non !
Avec sa sœur dans sa valise !
Non ! Sa soeur ????
Enfin une partie de sa sœur !
Non ! Une partie de sa sœur ??
Vous voulez savoir quelle partie?
Non !
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Quand je dis non, c'est non ! Tu as compris ?
Non.
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Il y a des nons qui veulent dire oui. Mais il y a aussi des ouis qui veulent dire non. Et donc, dire un non qui veut dire oui, et que ce oui veut lui-même dire non, alors le premier non veut dire non.
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Non! Non ! Mille fois non !! Jamais de la vie ! Au fait, c'était quoi la question ?
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Tu ne vas pas me dire que tu ne m'as pas dit non, non ?
Non.
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Tu veux ?
Non.
Tu ne veux vraiment pas ?
Non.
Alors j'arrête.
T'es vraiment trop con toi! C'est pas parce que je dis non que tu dois arrêter !!!

Gilles Thouroude
Décembre 2011

OUI OU NON ?!
Ce matin là, Paul se réveilla. Changé. Transformé. Transfiguré. Quelle étrange chimie avait agi sur son âme? Était-ce magie? Sortilège? Enchantement? Miracle? Peu importe, se disait-il en contemplant le plafond de sa chambre. A partir d'aujourd'hui, à partir de cet instant même et pour la première fois de son existence, il serait l'homme du NON! Comme il regrettait de ne pas avoir appris le russe! Il était sûr que l'homme du NON dans la langue des tsars, cela sonnait mieux! Il ferma un instant les yeux. Il lui semblait que toutes les cohortes de ses renoncements ignobles s'engloutissaient dans des ténèbres d'où émergeait le glaive impérial du Non. Déjà il s'imaginait ceint de ce glaive du Non (il avait hésité un moment à le nommer glaive nonique avant d'abandonner cette idée, l'expression pourtant forte claquait de façon peu harmonieuse à ses oreilles). Son âme sanglotait de bonheur en apercevant tous ces Nons prometteurs qui avançaient en masse compacte et fière, si fière, dans les steppes rougeoyantes de sa vie. Ne lui restait que le choix du premier Non qu'il allait prononcer, ou plutôt hurler ! Oui hurler tel le loup blanc de Sibérie qui sent sa proie toute proche! A quel misérable allait s'adresser ce Non ? Quel ventre immonde aurait l'honneur d'être percé par le glaive du Non ? Son choix se fixa très vite. Sa belle-mère bien sûr ! Avant de la clouer au pied de son trône, chouette de malheur, il lui parlerait comme elle lui parlait! Même plus : il lui parlerait comme son chien lui parlait quand il rentrait le soir et qu'il essayait de pousser sournoisement l'animal afin de lui dérober des croquettes. Après, l'ordre de passage était moins précis. Trop de visages de moujiks abrutis se bousculaient à ses pieds. Des collègues jaloux de son allure de barine, de la famille trop proche dans l'isba enfumée, de la hiérarchie au knout insolent, des camarades d'associations vaguement culturelles ravagés par la vodka, des femmes trop jeunes galopant dans la toundra. C'est bercé par ces flots de Nons slaves qu'il s'endormit. Et lorsqu'il se réveilla le lendemain, c'est l'homme du oui qui clignait des yeux sous la lumière d'un été finissant.

Gilles Thouroude
Décembre 2011